«Je le crois vraiment, il est vital d'aborder chaque jour avec le désir d'être heureux.»
Augustin Paluel-Marmont

Josette Bardet-Murot (Atelier d'écriture - Nouvelle Librairie) (05 Gap)

RENDEZ VOUS AVEC NOTRE DESTIN

Deux êtres sensés s’être aimés nous ont fait naitre, puis ils nous ont ouvert le chemin parsemé des roses de la vie, avec ses parfums, ses velours et ses épines. C’est un passeport vers l’humanité. Le jour, l’heure de notre naissance vont déterminer notre destin, ainsi qu’une chance de connaitre les mots terre, planète bleue, et d’y respirer pour grandir. L’enfance heureuse ou chahutée, meurtrie ou adulée va forger notre caractère, nos émotions. Toute une kyrielle de sentiments se développera pendant notre sommeil. Nous allons grandir, aimer, rire, et même aimer à en mourir, rire à en pleurer et pleurer des larmes de douleur ou de bonheur. Amour, passion, mensonges, sentiments, sèmeront des moments incontournables du passage sur terre. Jour après jour, sans y penser nous allons courir après ce qui nous fera vivre, notre travail. Avec ou sans avoir fait d’études, il faudra s’adapter pour recevoir ces billets froissés ou ces pièces cuivrées que nous allons transformer en articles de consommation courante. Il nous faudra forcer le destin, la chance, le hasard ; foncer sur ce chemin qui nous est dédié : Notre destin.
Pourtant ne pas prévoir les dangers, ne serait pas raisonnable. Laisser la vie se dérouler sans essayer de changer le rythme des habitudes, ou de probables évènements serait jouer l’‘insécurité, nous l’avons tous fait. Tout peut arriver, bonheur ou malheur. Le destin nous distribue des cartes et nous allons jouer avec le hasard, la chance ou la malchance, mais surtout vivre ce qui nous est dédié.
Nous voulons souvent savoir ce qu’il va se passer… après. Nous avons tous prononcé ces phrases : « si j’avais su », « j’aurais du » « fallait que ». Nous voudrions connaitre notre « après », mais tout est joué d’avance, émanant d’une divinité ou de l’existence d’un être supérieur qui aurait tracé notre vie à notre naissance. Rien ne prouve qu’il n’existe pas. Un ange serait venu poser son doigt sous notre nez pour creuser le sillon du « mythe de l’ange », nous empêchant de connaitre la vie d’avant. Puis celle d’après.
Qui n’a pas consulté son horoscope, ou pire qui n’a pas consulté une cartomancienne, histoire de voir plus clair sur son avenir ! Savoir ce qui se passera plus tard… pour déjouer le destin. Le destin ? Comment voulez vous le changer s’il est déjà inscrit quelque part, inévitablement… il arrivera un jour. Nous devons nous servir de nos sentiments positifs, avec notre caractère pour laisser notre vie se dérouler sans vouloir connaitre la suite et essayer d’en changer. Prendre le temps de vivre avec prudence ou prendre le risque de jouer au plus fort en bravant les pires dangers au risque d’en perdre la vie.
Le destin, la chance apparaitront sur le tracé de cette ligne de vie inscrite au creux de notre main gauche. Peut être faut-il laisser le temps au temps, ou prévenir pour guérir ? Ou vivre au jour le jour sans penser au lendemain ?
Tout au long de notre vie nous voulons aller plus loin, avec ambition nous courrons après ce qui nous fait vivre, « l’oxygène bancaire » qui nous permet de vivre, sans laquelle nous ne pourrions pas nous nourrir. Gagner de l’argent, encore et encore. Pour acquérir un endroit pour vivre, il faut payer… Pour se nourrir, il faut payer. Et nous voilà posséder de l’appât du gain. Le rêve de devenir millionnaire nous entraine à devenir dépendants au jeu. Inlassablement nous essayons de trouver les bons numéros pour obtenir le gros lot, et nous jouons en pensant que cette fois ce sera notre tour de devenir riche. Nous alignons « bêtement » ces petites croix sur des grilles, chiffres et nombres deviennent des portes bonheurs. Tout y passe, date d’anniversaire, numéro d’immatriculation de la voiture, date de naissance des grands parents, des enfants, numéro de sécurité sociale, dans l’espoir d’être l’heureux gagnant parmi des millions de joueurs…. « Je vais gagner ! Cette fois je gagne ! ». Pour voir un jour notre vie changer on en oublie de la vivre. Pendant quelques jours nous allons attendre le tirage au sort des cinq boules dans ce panier métallique où les boules numérotées tournoient et s’alignent devant nos yeux. La déception est là. Ce n’est pas pour cette fois. Certains recommenceront après de savants calculs pour trouver les 5 numéros magiques.
Jour après jour au hasard d’une promenade un être humain aurait pu rencontrer l’élue de son cœur venant en sens inverse sur le même trottoir. Elle est charmante, à un seconde près il a dévié sa route, sans l’apercevoir, et il a changé de trottoir pour saluer une connaissance, laissant la belle poursuivre son chemin solitaire. Ce n’était pas leur destin, et la belle continuera sa route sur son trottoir, lui de son côté disparaitra au bout de la rue.
Si Michel était parti une seconde plus tard ou plus tôt, il n’aurait pas rencontré, au coin de la rue cette voiture folle ! Il y pense souvent en se disant : «j’aurais du rester plus longtemps sur le pas de la porte à embrasser ma femme ». La voiture aurait eu le temps de s’éloigner, et ma voiture ne serrait pas cabossée ! Le destin en a voulu autrement. C’est la fatalité ! Pas de chance ! Aujourd’hui il part au boulot en vélo !
Ce matin en me réveillant j’ai observé mes mains sur le revers du drap blanc, une fine peau plissée, saupoudrée de petites fleurs marrons m’ont fait réfléchir à ce moment de ma vie ou je ne pourrais pas arrêter l’horloge biologique.
Il est tout proche le destin. Venu de nos croyances ancestrales, en accord avec notre religion, de notre héritage génétique, nous allons vers le grand voyage. La vie a une fin, personne n’y échappera. J’ai guidé tous les bonheurs de ma vie en me protégeant des malheurs inévitables, et en essayant de les prévenir. Rien n’a pu arrêter, ce que le destin a rendu heureux, cruel ou désagréable. Parfois nous détournons le hasard parce que notre esprit, par précaution, nous demande de le faire. Comme par prémonition, par une intuition inexpliquée.
Aujourd’hui je continue mon chemin, au détour d’un nouveau plaisir, heureux ou malheureux. Je savoure ces journées de bonheur et de sérénité. Tant qu’il y aura un lendemain, j’avancerai je l’avoue, avec prudence. Le hasard, la chance, le destin sont toujours là.
Quoi que nous fassions, je suis certaine que : CE QUI DOIT ARRIVER ARRIVERA.

ZETTE

CHEMISE

Chemise de coton, chemise de soie, chemise de nuit, chemise de corps, « J’en perds ma chemise" ! Elle plait aux hommes lorsque, extenués, ils la tombent. Chemise serrée à votre cou messieurs, fermée par l’indispensable cravate, remplacez les boutons en plastique aux poignets et optez pour d’élégants boutons de manchettes or ou argent, raffinement oublié sans lesquelles vous ne seriez pas un homme d’affaire affirmé. Chemise de bureau en carton, en papier, empilées ou dressées sur des étagères, parfois abandonnées pour de longues années. Agissez de vous-même, mais méfiez vous des conseilleurs, vous pourriez changer d’avis comme de chemise, moi je pense maintenant qu’il est temps de faire court et de couper les manches trop longues de ma chemise et je deviendrais chemi…ZETTE.

ZETTE

PODIUM

Podium : ce mot évoque pour moi, les années soixante, l’époque des « yéyés ». Nous, les babyboumeurs, étions de la génération de « salut les copains » l’émission télévisée qui regroupait de jeunes chanteurs adulés par un public épris de liberté. Claude François nous a fait danser sur l’air du « samedi au soleil », il lança son hebdomadaire du nom de : Podium, un journal que nous attendions toutes les semaines. Tous ces nouveaux chanteurs ont fait hurler nos parents, prétextant que cette musique « de fou » allait nous faire dévier de notre bonne conduite. Pour la première fois à la télévision, un jeune homme : Johnny, se roulait par terre avec sa guitare en chantant « souvenir souvenir »… c’était le temps où certain allait au lycée d’autre moins chanceux travaillait, mais c’était notre jeunesse. Tout ce bouleversement musical a hissé ces chanteurs sur le podium de la gloire, Richard Anthony entendait « siffler le train » pendant que Sheila nous répétait que « l’école était finie », Claude François était triste par ce que « le téléphone pleurait ». Le twist et du madison faisaient leur apparition dans les salles de bal, le rock et le slow balayèrent la valse et la java. Tous ces chanteurs se sont hissés aux premières places des hits parade. Et Johnny Halliday alluma le feu, acclamé comme un champion, sur l’immense podium de la gloire, au palais des sports à Paris.

ZETTE

LE PANIER

Il est là, assis depuis plusieurs heures sur sa chaise basse, devant la grande porte de la ferme qui l’a vu naitre. De ses doigts gourds, torturés par les douleurs de la vieillesse, il tire sur l’osier flexible en serrant les rangées de lianes serrées les unes contre les autres. Elles se serrent, se calent entre la trame et la chaine, les brins se lient, le résultat s’ébauche. Comme sur un métier à tisser il confectionne son ouvrage, pas de toile de coton ou de lin, non juste du végétal que la nature a mis dans les mains de l’homme, une plante magique qui sert depuis des millénaires. Il l’a longuement préparée, ramassée, trempée et séchée pour devenir une tige flexible, puis un objet décoratif, utilitaire ou un cadeau souvent apprécié. Il a appris la vannerie, en regardant son père, elle a été transmise de génération en génération. Pendant de longues heures il avait regardé ses doigts tirer sur l’osier, avant de confectionner son premier panier. Sans bruit dans le calme de la campagne, il prolonge la tradition, son esprit endolori par l’âge vagabonde et lui laisse encore quelques bons souvenirs. En contemplant son travail, il marmonne doucement  : « Allez zou encore un beau panier que j’irai vendre à la foire de la Saint Martin, si Dieu me garde !».

ZETTE

JE N AI RIEN OUBLIE

Ce jour là, ma grand-mère m’accompagna devant la maison de Danielle, c’était un jour de fête, j’allais fêter les neuf ans de mon amie. En chemin, une immense joie m’envahissait, je serrais dans ma main le petit paquet bleu enrubanné. Le soleil était brulant, la chaleur écrasante, le sirocco avait soufflé toute la matinée, rendant les jasmins et les seringats encore plus odorants qu’à leur habitude en libérant un mélange de parfums puissants. Inquiète de me retrouver seule pour la première fois, en regardant ma grand-mère je lui dis :
« Tu reviendras me chercher Grand-mère ? »
« Bien sur ma fille, à cinq heures » dit-elle en m’embrassant et en arrangeant une mèche rebelle sur ma chevelure brune.
Au premier étage de la maison se trouvait l’appartement de la famille B., on y accédait par une porte en bois marron située à droite du café Maure, pas de sonnette sur le mur ni sur la porte pour avertir d’une visite, on frappait à la porte avec une main en bronze, et au bout d’un moment la porte s’ouvrait. La maitresse de maison tirait en haut de l’escalier sur une corde qui courait de bas en haut contre le mur de l’escalier et qui actionnait la poignée, en tirant sur la corde en haut, le loquet se soulevait en bas, et la porte s’ouvrait. Danielle était en haut sur le palier, avec sa maman, une jolie brune pétillante aux yeux rieurs. On s’embrassa, elle me prit la main. Mon amie allait souffler les bougies de ses neuf ans. J’étais heureuse d’aller jouer chez elle, et de découvrir ses jouets. En entrant dans sa chambre je fus émerveillée par la décoration, les murs étaient tapissés d’un papier peint sur lequel s’étalait un semis de petites fleurs multicolores, une corbeille en osier était remplie de poupées, de baigneurs, d’ours en peluche. Des livres s’étalaient sur une étagère au dessus de son lit. Nous avons joué comme des enfants heureux. Dans l’appartement des gens allaient et venaient les bras chargés, pour aider madame B. Danielle les appelait : « tatas » « tontons ». Le fond du couloir était bruyant de rires, de grandes discussions et de chocs de vaisselle. Vers quatre heures on regagna la grande salle d’où venaient les bruits. Je n’osais avancer, alors Danielle me prit à nouveau par la main en me guidant dans la salle à manger. Quelle ne fut ma surprise de voir tout ce monde qui nous attendait et qui s’écria : » Ah ! Les voilà ! Les persiennes étaient entrecroisées pour garder de la fraicheur, il y avait là, assis autour de la grande table nappée de blanc, plusieurs hommes fumant pour la plupart des cigares, et des femmes, très belles qui fumaient aussi, je les regardais, je n’avais jamais vu de femmes ainsi maquillées, très maquillées…. Leurs cils étaient recouvert d’une pâte noire, qu’elles puisaient dans une petite boîte : le Rimmel, les femmes brossaient leurs cils pour les recourber et les allonger, ils ressemblaient alors aux ailes de papillon. Elles étaient vêtues de robes aux couleurs vives, exhibant leurs formes dans des décolletés profonds laissant apercevoir le haut de leurs généreuses poitrines à la peau dorée par le soleil. Je dis bonjour en embrassant leurs joues douces et parfumées, un parfum de santal mêlé de patchouli s’échappa sous mes baisers. Les souvenirs olfactifs font partie de ma vie, bons ou mauvais ils me rappellent avec nostalgie mon enfance. Là, dans cette salle, ces jolies femmes, étaient assises légèrement en retrait de la grande table, les jambes croisées laissaient apparaître leur bas nylon, timidement je ne regardais que leurs poitrines formant un long sillon sur lequel balançaient des chaines en or, aux poignets les bracelets brillants tintaient, faisant une légère musique au moindre mouvement de leurs bras. Ces bouches rouges sur des dents de porcelaine blanche, fixaient mon regard ébahi. Elles étaient belles, elles arboraient les mêmes coiffures que celles imprimées sur les catalogues de mode féminine : Vogue ou Madrigal. La Brillantine Roja était passée par là sur leurs cheveux ondulés, permanentés. Je souriais, j’admirais tous ces gens dont je ne pouvais soupçonner l’existence, j’avais l’impression de voir des vedettes de cinéma, tellement différentes de mes tantes ! Assise timidement entre eux, prés de Danielle, je joignais mes deux mains et les coinçais entre mes genoux. Je ne disais mot, j’attendais. Je revois la souriante maman de Danielle, une jolie brune aux cheveux courts bouclés, debout derrière les convives, elle remplissait les verres de sirop d’orgeat, de menthe, ou de vin rosé en proposant des glaçons, elle servait d’abord les hommes qui tendaient leurs bras à son arrivée. Elle partait vers la cuisine, puis revenait les bras chargés de friandises, de biscuits et enfin d’un magnifique gâteau à la crème garnie de neuf bougies que Danielle s’empressa de souffler sous les bravos et les applaudissements des convives. Ils se mirent à chanter « bon anniversaire », d’une faible voix je chantais avec eux. Cette journée restera dans ma mémoire, chez moi ce n’était pas comme ça !…. L’ambiance festive régnait dans cette pièce, assis autour de la table les hommes grattaient leurs guitares, les femmes rythmaient leurs chants avec des mouvements rapides de leur doigts en claquant le bois des castagnettes, d’autres secouaient des boites métalliques de « lait Guigoz » remplies de haricots secs ou de riz, le son était semblable à celui des maracas, l’effet était surprenant. La salle riait, s’interpellait, je n’avais jamais vu ça ! Emportée par cette joie je tapais moi aussi dans mes mains, comme Danielle, on nous tortillant, en dansant et en chantant comme tous les autres…Heureuse, je chantais… je chantais… en riant vers le visage de mon amie. Et puis, on a mangé le gâteau, on a bu de la limonade, on a encore chanté « bon anniversaire ». Puis c’était fini… je dis au revoir à mon amie en l’embrassant très fort, je saluais de la main sa famille. Sur le palier sa maman m’a tendrement embrassée. Grand mère est venu me chercher en frappant à la porte marron, avec la main en bronze, on lui a ouvert en tirant sur la corde, la poignée s’est soulevée….. Et je me suis en aller. Ce fut une douceur dans l’amertume de mon enfance.

ZETTE

LE PARAPLUIE

« Un ptit coin de parapluie contre un coin de paradis » !
En écoutant chanter Georges Brassens, je pense toujours à ce vieux parapluie en toile noire au manche en bois retourné, il ressemblait à la canne du grand père, il était là, abandonné dans un coin de la grange chez notre grand-mère. La toile en coton rêche reposait sur des baleines blanchâtres disposées en étoiles, en l’ouvrant il ressemblait à un champignon. A Noël mes sœurs et moi avions eu le plaisir de découvrir, parmi nos cadeaux, de magnifiques parapluies de couleurs différentes, cependant ils restèrent longtemps dans le placard, dans ce pays si chaud où nous vivions, un parasol aurait été plus judicieux de nous offrir. Père Noël s’était trompé ! Ici, dans cette région où je vis depuis longtemps, ce n’est pas vraiment le compagnon indispensable à emporter le matin, en partant travailler, non… 300 jours de soleil par an nous permettent de l’oublier. Par contre son ancêtre devrait nous servir plus souvent : l’ombrelle, féminine parure des années trente, japonisante en bambou, romantique en broderie anglaise, colorée sur la palette d’un peintre. Les belles des années folles, vêtues de robes charleston, posaient sur de vieilles photos en sépia dans les albums de souvenirs de nos parents. Chevelure courte, gominée, plaquée sur les joues ou le front, entourés d’accroche cœur. Elles arboraient leur silhouette en souriant, l’ombrelle ouverte, le manche dans le creux de leur cou. Notre ville s’est parée cet été d’un magnifique tunnel de parapluies multicolores au dessus de nos têtes, photographiés par de nombreux touristes émerveillés. Aujourd’hui les parapluies peuvent être très petits, pliants, automatiques, toutefois, ils se retourneront toujours lorsqu’ Eole soufflera, alors, parapluie retourné, visage crispé sous les larmes du ciel, cheveux au vent et robe par dessus les épaules, le photographe avisé fera là son plus beau cliché. Que seraient Mary Poppins et Bécassine sans leur célèbre parapluie ?
Silencieusement, dans le fond des mers, Dame Baleine Bleue chante avec les sirènes, elles nous remercient d’avoir interdit leur mise à mort, pour récupérer, entre autres, leurs os, afin de confectionner des « baleines » pour nos parapluies et des corsets pour nos ancêtres.

ZETTE

VERTES PRAIRIES

Papé tira lentement quelques bouffées de tabac brun de sa pipe en envoyant sa tête en arrière, avec un sourire coquin à travers sa barbe de plusieurs jours, il dit :

  • Les enfants, asseyez vous, je vais vous raconter l’histoire de votre arrière grand-père et de ses frères partis très loin chercher des vertes prairies , en Amérique, dans un pays où l’homme n’avait pas encore retourné la terre. Les trois enfants, sagement, grimpèrent sur le canapé recouvert d’un plaid fleuri. Suspendu aux lèvres de leur grand-père ils attendaient ce récit retraçant une aventure comme dans leur livre de conte. Frédéric le plus jeune en battant des mains cria :
  • Papé, Papé commence vite, racontes nous les indiens, les diligences…

En tirant sur son pantalon pour le faire assoir, Lydia, sa sœur, lui ordonna de reprendre sa place et de se taire. Mylène, elle suçait son pouce en tortillant les oreilles de son doudou lapin. Le silence régnait, la pipe fumait autant que la cheminée, bouches à demi ouvertes ils attendaient. Papé, heureux, fier de ses petits enfants, désireux de leur faire plaisir, commença par la phrase magique :

  • Il était une fois… un homme, votre arrière grand père Joseph qui trouvait que son petit village des Alpes ne lui convenait plus, il voulait découvrir un autre pays, d’autres cultures, gagner plus d’argent aussi. Nos belles prairies au dessus du bois de l’Ours, bien verdoyantes, remplies de coquelicots et de bleuets, d’herbe grasse et abondante ne lui donnaient que peu de satisfaction. Pourtant, elles sont si belles ces prairies, ensoleillées toute la journée, bordées de grands arbres, là où on se repose après notre dur travail de paysan, on s’allonge dans l’herbe, une brindille entre les lèvres, en regardant le ciel, en bénissant le bon Dieu de nous avoir donné ce coin de paradis. Mais non, ils partirent chercher l’herbe ailleurs ! Avec ses deux frères ils prirent la route pour l’Amérique. Frédéric sursauta et s’écria en écarquillant les yeux et en portant sa main contre sa bouche :
  • Papé avec les indiens qui ont des plumes sur la tête à la place des cheveux ?
  • Non petit, les indiens c’est une autre histoire, pas ce soir… A la ferme tout le monde pleurait parce qu’on n’allait plus les revoir, ou peut-être qu’ils allaient se perdre, va savoir si il y avait des routes là-bas en ce temps là ! Et comment ils allaient faire sans aucune famille là-bas pour les héberger ? Enfin voilà…. laissez moi réfléchir…. Au Havre, ils ont pris un gros paquebot rempli de gens comme eux qui allait chercher fortune chez les Américains. Une lettre arriva plus de quatre mois plus tard, nous racontant ce voyage sur l’Atlantique. Dans ce paquebot ils n’avaient pas de chambre, ils dormaient le plus souvent au sol, dans les couloirs ou au fond du bateau, dans la cale, avec la chaleur et le mal de mer. Presque deux mois pour arriver enfin à New York. Chacun partit alors vers sa destination pour trouver de la terre et l’herbe américaine. Oh ! Ils en ont trouvé bien sûr, mais, rien à voir avec notre terre à nous, beaucoup de cailloux et de fortes chaleurs brulantes qui cuisaient tout ce qui poussait, et au bout de quelques mois, hélas, leur petit pécule diminua. Ses frères s’établirent en Californie, Joseph mon père, languissait son pays, il tomba malade d’une maladie américaine sûrement, et il refit le voyage à l’envers pour revenir dans les Hautes Alpes…chez nous. Deux ans après il apparut au bout du chemin de la ferme de Manse, il arriva comme un fantôme dans la chaleur du mois d’août qui me faisait des vagues devant les yeux, comme un mirage, j’étais petit mais le père qu’on attend depuis longtemps on ne l’oublie pas parce qu’on l’a espéré. Vous pensez comme j’étais heureux en sautant dans ses bras !
  • Et alors ! Il a ramené quoi d’Amérique dit Lydia curieuse, de l’or ?
  • Non !... Quelques dollars, et de l’expérience, et de gros projets pour notre grande ferme. Après cette longue absence il s’était rendu compte de son amour pour notre terre, bien française, tous les jours il partait vers la grande prairie entourée au loin de majestueuses montagnes, un petit ruisseau ondulait dans l’herbe tendre, la source d’en haut descendait jusqu’à la ferme ou nous vivons encore aujourd’hui. C’était la terre que son père lui avait léguée. Il eut alors cette envie folle de la faire vivre, l’herbe était si belle qu’il fallait l’exploiter. Il acheta alors trois vaches laitières, la première il l’appela U, la deuxième S, et la troisième A, et quand il les faisait rentrer à l’écurie il criait « U.S.A on rentre à la maison » ! Et je riais je riais ! La partie la plus basse de la prairie donna le foin qu’on coupait dés que l’herbe était haute et toute la famille faisait les foins, dans l’odeur de l’herbe coupée et de la terre chaude. L’hiver le foin, servit à nourrir U, S, et A. pour nous donner du bon lait, bien gras pour faire le beurre de nos tartines. Fréderic réfléchissait et dit brusquement :
  • Moi quand je serai grand j’irai aussi en Amérique…non j’irai à Ushuaia là bas au bout de la terre.

Mylène s’était endormie la tête sur les genoux de sa sœur. Le feu dans la cheminée lançait des flammes discrètes, fuyantes, sous les buches amoncelées sous elles. Le tic tac de l’horloge sonna neuf coups, la nuit était tombée. Dans ce silence cotonneux et cette douce chaleur, les enfants n’avaient plus envie de se lever, ils repensaient au grand-père Joseph, au bateau et au retour à la ferme et surtout à cette verte prairie. Doucement ils se levèrent, en enlaçant leur Papé ils l’embrassèrent. Frédéric ajouta en se frottant les yeux et en baillant :

  • Bonne nuit Papé, demain on ira jouer dans la prairie ?
  • Bonne nuit les enfants à demain, si Dieu veut !

L’herbe se couchera bientôt sous le poids de la neige, les feuilles flétries voleront sur notre verte prairie, comme tombe la vie qui passe et qui nous flétrie, cependant le printemps reviendra, et la prairie se renouvellera sans cesse avec le courage et la main de l’homme.

ZETTE.

LE LIVRE

La porte s’ouvre lentement, une clochette égrène quatre notes qui interpellent le commerçant, il me salue en me regardant par dessus ses lunettes d’écaille. Quelques clients indifférents, livres en mains, ne bougent pas. En flânant dans les allées, mon regard se porte sur les livres aux couleurs vives. J’en saisis un, celui d’un auteur que j’apprécie. Je cherche à lire de nouvelles aventures, de la joie, une énigme, ou de l’amour. J’hésite, le personnage imprimé sur la couverture marche le dos tourné sur une route déserte, pourquoi ? Où va-t-il ? Je tourne les pages, je lis le résumé et je suis convaincue de mon choix de lecture. Je me vois déjà assise en boule dans mon fauteuil pour le dévorer. C’est le verbe exact : dévorer comme manger quand on a très faim, pour arriver au dernier morceau, ou à la chute finale. Enfant je découvrais des livres « de grands », sur des tables de nuit ou sur des étagères : « Chaque âge à sa lecture disait mon père, celui là n’est pas pour toi ». Pensez donc : Le blé en herbes ! De Colette, « Mauvaise lecture pour une adolescente » ! A la bibliothèque de l’école, les institutrices avaient supprimé du livre, quelques pages trop sentimentales ou libertines, ce qui nous avait incitées, mes camarades et moi à retrouver un autre exemplaire pour lire les textes défendus des pages déchirées. C’est comme la confiture, plus c’est défendu plus on met le doigt dans le pot ! Autodidacte j’ai puisé dans les livres pour apprendre, comprendre la vie, la mort, la guerre, l’amour. J’ai rêvé, j’ai ri, et parfois J’ai pleuré. J’imagine les personnages, je vis avec eux, je les aime ou les déteste et je vais jusqu’au bout pour le respect de l’auteur. « Le livre » peut être le compagnon d’une vie celui qu’on voudrait ne jamais perdre, parce qu’on l’aime.
En France, on apprend à lire, dans d’autre pays on brule les livres pour que le peuple n’accède pas à la culture et qu’il se soumette qu’aux lois des gouvernants.

ZETTE

Michèle 20/12/20 super chemizette
Michèle 6/12/20 Tu racontes de biens belles histoires.

Nathalie, le 03/12/20 Je n'ai lu que le parapluie... Et j'ai beaucoup aimé ! Il n'y a pas grand chose à retoucher ! Je ne pensais pas qu'on avait sacrifié les baleines (aussi...) pour confectionner des baleines !!

JK 29/11/20 J'adore ta nouvelle "Je n'ai rien oublié", on s'y sent transporté comme si on y était.

Nathalie, le 23/11/20 * J'adore la poésie de tes textes Zette ! J'imagine si bien le Papé et ses petits enfants...
* Oui, comme toi je dévore parfois les livres... Et oui c'est une grande chance d'être dans un pays libre, et d'avoir reçu par transmission en héritage (ou par l'école) cette ouverture sur un accès au savoir, aux connaissances, par LE Livre !

MB 24/11/20J'aime bien le lien de nourriture avec la lecture mais sinon je trouve la chute un peu triste d'autant que chez nous on en est déjà à réduire l'accès à la culture sous couvert de covid...i

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