«Je le crois vraiment, il est vital d'aborder chaque jour avec le désir d'être heureux.»
Augustin Paluel-Marmont

Claudine Laclare (Ateliers d'Ecriture Créative) (84 Cavaillon)

La chemise
La chemise est un basique incontournable de nos dressings. Elle possède une longue histoire qui remonte à 3000 ans avant J C et a évolué au cours des siècles. Longtemps sans col et sans boutonnage, elle faisait office de sous-vêtement et de chemise de nuit.
Plus tard, elle s’est agrémentée de plastrons, de boutons, de jabots, de plis, de volants, de manchettes puis de cols, blancs pour les employés bleus pour les ouvriers.

J’ouvre mon placard à chemises : laquelle choisirai-je aujourd’hui ? La blanche pour les cérémonies ? la rose qui plaît beaucoup aux dames ? la bleue que je réserve aux travaux de bureau ? celle à manches courtes (la chemis…ette) que j’aime porter les soirs d’été ? la fleurie aux allures champêtres ? la rayée qui me sied pour faire le marché ? celle en velours qui me tient chaud les mois d’hivers ?
Impossible de choisir, j’enfile un tee-shirt !

Panier d’osier
Pour obtenir un joli panier d’osier, il vous faut : une grande botte d’osier aux brins panachés (moyens, épais, fins), un sécateur, un couteau bien affûté, une grande bassine d’eau légèrement tiédie.
Vous commencerez par donner de la flexibilité à vos tiges en les hydratant dans l’eau tiède. Si elles sont trop sèches, elles casseront et votre panier ne sera pas solide. Ensuite, vous couperez vos brins. Pour un grand panier, ils devront mesurer 90 cm. Puis, vous les croiserez pour faire le fond. Enfin, vous tisserez par-dessus vos brins croisés. A un moment, il vous faudra relever ceux-ci pour monter les bords. Et vous monterez, monterez, monterez, jusqu’à la hauteur nécessaire pour que votre panier ait une certaine profondeur. Là, vous déciderez : panier à linge, panier à provisions, panier à couture, panier pour ramasser les fruits ou les fleurs ou les œufs ; peu importe, l’essentiel est que vous n’oubliez pas de monter les bords, sinon, vous obtiendrez… un dessous de plat !

Podium
Un podium est une estrade destinée à glorifier les personnes qui ont réussi un exploit lors d’une compétition. Ceux-ci peuvent être très variés et permettre ainsi au podium d’accueillir toutes sortes de spécimens. De célèbres champions sont montés sur des podiums mais également de grands loosers (celui qui chante le plus faux, qui danse le plus mal, qui produit le film le plus mauvais, ou même encore l’écrivain qui rédige le texte le plus ennuyeux (c’est arrivé aux Etats-Unis). L’objectif est toujours le même bien entendu : valoriser le vainqueur d’une catégorie en l’invitant à monter sur la plus haute marche. Il est alors fortement applaudi et verse parfois une larme de joie.
Il est tellement gratifiant d’être ainsi mis en valeur en se rapprochant … du ciel !

Je n'ai rien oublié
Coupez !

Aujourd’hui, à l’émission télévisée LIVRE ET VOUS, le présentateur Léo Defrance reçoit en invitée vedette Philo Dalage, romancière spécialisée dans la littérature animalière consacrée aux lépidoptères.
Philo Dalage est arrivée en retard et Léo est agacé. Aussi quand elle avance sur le plateau, maquillée à la hâte et coiffée avec un pétard, il l’accueille plutôt fraîchement. Elle semble toutefois ignorer cette distance et sourit largement en direction de la caméra. Elle est vêtue d’un jean moulant et d’un tee-shirt au décolleté assez provoquant, l’ensemble plus ou moins recouvert d’un gilet informe aux poches tellement gonflées qu’elles épaississent considérablement une silhouette déjà peu gracieuse. L’animateur ne voulait pas l’inviter. Il pressentait un fiasco. Mais il avait subi la pression de la direction. L’œuvre de l’écrivaine, bien documentée, cartonnait. Sa notoriété allait grandissant et la chaîne ne souhaitant pas manquer cette opportunité, il avait fini par céder. Et la voilà donc, en chair et en os, ses ouvrages à promouvoir entre les mains : « Les coléoptères du bonheur ». Léo n’avait rien contre les papillons, mais de là à en faire une œuvre en trois tomes ! Les deux autres invités font pâle figure auprès d’elle : Pierre Lafon, professeur de sciences à la retraite qui présente « Minute, papillon » un inventaire des papillons français région par région, et Laurent Delmas, photographe animalier dont le livre en forme de papillon fera un très joli cadeau de Noël.
Après de rapides présentations l’animateur s’adresse à la romancière :

  • Philo Dalage, bienvenue dans notre émission LIVRE ET VOUS. Nous sommes heureux de vous recevoir. Les trois tomes de votre dernier ouvrage ont déjà beaucoup de succès, livrez-nous les secrets de vos recherches : comment les papillons sont ils venus à vous, comment vous ont-ils inspirée à ce point ?
  • C’est une belle et longue histoire d’amour.
  • Mais encore ! Les téléspectateurs sont impatients d’en savoir davantage !

Décidément, il ne la sent pas. Elle abuse d’une attitude décontractée, tripote en permanence les poches de son gilet, et ce sourire niais qu’elle affiche depuis son entrée sur le plateau !
Elle inspire profondément, ouvre la bouche, et entame un discours étonnant, ne laissant aucune place à tout interlocuteur. Tout y passe sur un ton monocorde et dans un vocabulaire réservé aux initiés : la chenille, le cocon, la naissance, les races, les pays, les origines, les familles, la reproduction, … Pierre Lafon s’est endormi, Laurent Delmas, somnole. L’heure tourne et Philo Dalage mobilise la parole inlassablement ne tenant aucun compte des contraintes télévisuelles. Excédé, Léo se lève, hausse le ton et s’exclame :
– Madame Dalage, pouvez-vous être plus concise et laisser à nos invités la possibilité de s’exprimer ?
Ces deux derniers sursautent mais la romancière continue sur sa lancée avant de jeter sur un ton méprisant à l’animateur :
– Mademoiselle et non madame, je vous prie. Et laissez-moi finir !
Il n’en peut plus. Si l’émission n’avait pas été filmée en direct, il aurait demandé aux caméramans de couper mais cela posait trop de problèmes de logistique. Il décide donc de se taire, laissant les deux autres retourner paisiblement à leur somnolence. Philo, intarissable, exulte, s’écoute parler, valorise ses recherches et ses conclusions à n’en plus finir. Léo ne pense plus qu’à l’audimat et au scénario catastrophe qui se profile ; il va se retrouver au chômage à cause de cette idiote à l’ego surdimensionné. Quand enfin elle se tait, affichant un air satisfait et plongeant la main gauche dans une des poches de son grand gilet comme si elle cherchait un mouchoir, Léo se décide à poser une des questions qu’il avait préparées. Ce sera la seule, et uniquement pour la forme, car il n’en peut plus :
– Philo Dalage, pour conclure, une seule question : les papillons ont-ils une mémoire ?
– Pas certain Léo mais moi j’en ai une excellente et je vais te prouver que je n’ai rien oublié.
Te souviens-tu de notre dernier rendez-vous, au Musée d’histoire naturelle un jour de novembre il y a tout juste vingt ans, celui où tu n’es jamais venu ? Elle sort alors la main de sa poche, armée d’un revolver.
Léo se remémore un quart de seconde sa courte aventure avec cette femme qui s’appelait… qui s’appelait…
Elle vise l’animateur avec son arme et tire en prononçant ces mots :
– Philomène Ladage n’oublie jamais rien !
Et Léo Defrance s’effondre, une balle en plein cœur.

Certains objets ont une âme

Il existe de très beaux parapluies, il en existe aussi de très laids, de ridicules, de lourds, de légers, de robustes, de très kitchs, des parapluies pliables, des réversibles, … Le mien avait beaucoup de caractère. Je l’avais reçu en cadeau pour une fête des mères et j’y tenais énormément. Elégant, avec un joli manche en bois verni, il était original et surtout très résistant aux vents violents. Jamais il ne m’avait fait faux bond en se retournant à cause d’une bourrasque mal venue. Multicolore, il était assorti à presque toutes mes tenues et me rendait la pluie presque agréable. Il m’était arrivé de le partager avec l’homme de ma vie. Il était alors devenu un « petit coin de paradis. »
J’avais un jour été obligée de le déposer dégoulinant à l’entrée d’un magasin. Au moment de sortir, je constatai qu’il avait disparu. Ma contrariété fut immense, à la hauteur de l’attachement qui me liait à cet objet. Je retournais dans la même boutique quelques jours plus tard (je portais ce jour-là un chapeau de pluie car je m’étais refusée à remplacer mon compagnon de précipitations). Quelle ne fut pas ma surprise en apercevant mon parapluie bien calé dans le support prévu à cet effet ! Il trônait là au milieu des autres, humide mais pimpant. Il m’avait retrouvée. J’éprouvai tout à coup la curiosité, malsaine j’en conviens, d’attendre un moment afin de repérer si quelqu’un viendrait le récupérer. Je patientais longuement sur le trottoir d’en face sous une pluie battante. La boutique se vida et il se retrouva seul. Je compris alors qu’il avait fait une courte fugue, et qu’il m’attendait.

J'ai refermé le livre

J’ai refermé le livre… Je redescends sur terre… Ce voyage est terminé et je retrouve le quai de mon pays, quitté il y a mille pages. La découverte s’arrête ici ; il n’y aura pas de deuxième tome l’auteur est décédé il y a plus de cent années. Je pose mes valises remplies d’histoires russes, d’isbas, de moujiks, d’hommes d’affaires influents, de zakouskis arrosés de kvas, de télégues et de calèches dans lesquelles je me suis promenée, enveloppée de fourrures me protégeant du froid glacial des hivers moscovites.
Avant de le ranger sur l’étagère, je le regarde comme un petit trésor. Ce n’est pourtant qu’une édition bon marché d’Anna Karénine… cinq euros cinquante, inscrits en gras sur la couverture ; bien peu pour une telle aventure ! Je caresse une fois encore ces pages qui m’ont transportée, parfois révoltée, parfois émue, parfois agacée…
Le livre… Un objet d’évasion qui lui-même se promène de mains en mains, de l’un à l’autre, de ville en ville, de pays en pays, … Un bel objet, rempli d’universalité.

C

Nathalie, le 14/12/20 : Quelle imagination ! Bravo Claudine ;) Si tu ajoutes à cela, un temps de pause, puis un temps de "re-travail" de ces quelques textes (une fois... deux fois...), tu obtiendras une mouture sans doute quasi parfaite, et largement digne d'être publiée/éditée !!!
Je pense notamment au texte "Coupez" : tu as l'histoire, tu as les personnages, tu as la chute ! Si tu le peaufines, il sera parfait ! J'ai repéré :
* Parfois des ajustements possibles dans la concordance de temps : par exemple dans la phrase "cela posait trop de problèmes de logistique", j'aurais mis "aurait posé trop..."
* Après "valorise ses recherches", j'aurais peaufiné la phrase avec par exemple "et ses conclusions s'éternisent ennuyeuses/alambiquées..."
Le parapluie : J'aime beaucoup ! Deux remarques : je ne suis pas une familière de l'usage du passé simple, mais je l'ai remplacé par deux fois dans ton texte par l'imparfait, car il me semble que nous étions davantage dans une action sur la durée, par exemple pour "Je patientais longuement..." alors qu'en effet, juste au dessus "J'éprouvai...", avec "tout à coup" montre bien l'instantanéité de l'action.
Deuxième remarque : Ton expression "mon compagnon de précipitations" est très originale :) et j'aurais peaufiné celle-ci avec quelque chose comme "mon CDJDP (Compagnon des Jours de Précipitation)" en laissant précipitation au singulier, puis en imaginant une phrase qui parle cette fois de la "précipitation" dans son sens premier... Mais ce n'est qu'une proposition pour aller plus loin dans la recherche du texte idéal, du graal de l'écrivain...

Michèle B 6/12/20 Tu écris de belles histoires originales.

Nathalie, le 23/11/20 C'est si vrai ! Le livre nous transporte et nous transforme... et cette fois c'est toi par ton texte qui nous balade, nous promène Claudine :))
* A la deuxième ligne, ta formule "je retrouve le quai de mon pays" me taquine l'oreille... un je ne sais quoi qui me fait trébucher dans la lecture. Je mettrais peut-être "Ce voyage est terminé, je me retrouve à quai, dans mon pays, ce pays que j'ai quitté il y a mille pages."

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