«Je le crois vraiment, il est vital d'aborder chaque jour avec le désir d'être heureux.»
Augustin Paluel-Marmont

Réséda (Atelier d'Ecriture - Nouvelle Librairie) (05 Gap)

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Le Parapluie

C’est l’histoire de mon premier parapluie que je brûle de vous conter. Ce fut pour mon anniversaire, c’est moi qui l’avais demandé. Comme beaucoup d’adolescentes c’est maman que je voulais imiter, toujours aussi élégante même pour aller au marché. Il existait à l’époque des magasins spécialisés et nous allâmes au bas de la rue d’Alger chez un luxueux maroquinier. Le choix fût difficile tant le stock était varié. Enfin ma préférence se porta sur une nouveauté : mince, le manche droit emmailloté d’un fin ruban de vinyle bleu marine qui se terminait par une ganse charmante destinée à emprisonner le poignet, sage précaution pour ne pas l’oublier dans les autobus, les commerces ou les bancs publiques une fois refermé. Suprême raffinement, à l’extrémité de la tige se trouvait un embout de bakélite blanche imitant l’ivoire et assortie aux pointes qui tendaient la toile sur les baleines. Il était de couleur bleue : un camaïeu allant de l’indigo le plus profond jusqu’au bleu pâle. Au début de notre complicité, je l’ouvrais quotidiennement dès le jour tombé, à l’intérieur de la maison ; tel un corymbe d’ombellifère il s’étalait au- dessus de moi, sous le lustre éclairé de la salle à manger. Faisant tourner le manche à toute vitesse et regardant la lumière irisée à travers le tissu, je me trouvais au milieu d’un kaléidoscope géant, un maelström de couleurs qui m’entrainaient dans une valse baroque dont je ressortais complètement étourdie. J’adorais ce jeu enivrant et pourtant si innocent. C’était aussi grisant que si j’avais avalé quelque magique élixir. Tous les soirs avec la complicité de la suspension familiale je plongeais avec délice dans un grand bleu. J’étais sourde aux réflexions fraternelles : -Qu’es c’qu’tu fais avec ce « pébroc », il ne pleut pas encore dans la maison que je sache- ?
Ça ne m’atteignait pas : j’étais trop fière d’avoir mon parapluie personnel qui était comme un passeport pour l’âge adulte.
Les jours de pluie j’étais toujours volontaire pour aller aux courses : prendre le pain, ou le paquet de tabac gris avec lequel papa bourrait sa pipe. Je tenais le manche court et serré, jamais le Mistral effronté n’a réussi à le retourner. J’ai mené une lutte effrénée avec ces vents impertinents qui accompagnent les orages. Devant aucune rafale il n’a jamais cédé. A Montpellier, il m’a suivie sans hésiter, ne voulant pas m’abandonner à des pluies inconnues. La tempête et le Marin : ce souffle spécifique du Languedoc, n’ont jamais pu en venir à bout. Et puis je l’ai laissé pour traverser le monde et commencer ma carrière. Il m’a attendu deux ans durant, sagement pendu au porte manteaux de l’entrée, en compagnie de ses confrères familiaux. Il n’était pas ankylosé et s’est ouvert sans rechigner à la première ondée, dès mon retour. Heureusement que je ne l’avais pas emporté : aux pluies tropicales, aux tornades, et aux cyclones il n’aurait pas résisté.
On dit Un parapluie, on dit Un parasol, mais on dit Une ombrelle ! Car cet accessoire est uniquement réservé aux femmes et à quelques papillonnants funambules dont il sert de balancier. Désolée de dévier du sujet mais j’ai toujours rêvé d’en porter une qui m’aurait faite ressembler à un modèle de Claude Monet.

Devinette :
Aux hommes qui m’utilisent, j’ai fini par ressembler : parfois noir, blanc, rouge, ou même d’or. Comme eux, je peux être petit ou grand, épais ou mince, vieux ou neuf, ventru ou condensé. Chic, habillé de cuir, de peau de requin, de toile écrue, de lin, ou de maroquin, je m’expose en collections. De luxe, de classe, d’art, de musique, de poche, ou de biographie, je suis aussi d’anthologie, souvent illustré et très bien soigné. Négligé, fatigué, élimé, déchiré, taché, raturé, mutilé, il m’arrive de servir d’emballage. Eparpillé je plane aux vents mauvais, mouillé je me désagrège, piétiné je résiste. Le chaud et le froid m’indiffèrent mais la pluie me détruit. Les courants d’air me font voler, le gel me rend craquant comme une nougatine. Nouveau on me déguste à petites doses, lentement, pour bien apprécier la chose, ou au contraire, vous pouvez me dévorer en une nuit quand l’impatience vous ronge.
- Qui suis-je ?
On m’emmène partout, même dans les lieux les plus intimes où l’on s’isole volontiers. A la mer, à la montagne, en train, en avion, en bateau, je fais toujours partie du voyage. J’adore me glisser sous les oreillers, dans vos poches les plus secrètes, dans vos sacs à dos, sacs à main, sacs à malices, et même vos sacs à provisions. Je suis de bonne compagnie, je suis indispensable, et même quelquefois je suis inoubliable.
- M’avez-vous reconnu ?
Je peux être coquin, érotique, pornographique, ou carrément scatologique !
J’ai souvent plusieurs maîtres, et j’ai un grand pouvoir : faire venir les larmes ou les éclats de rire en réjouissant les âmes. Il m’arrive d’être abandonné dans la rue, dans un grenier où je servirai de déjeuner à des rongeurs hystériques, dans un galetas plein d’araignées. Une cave humide peut me servir de tombeau. Mais je préfère les salons et les bureaux, les tables de nuit encore mieux, car là, je sais que je vais faire rêver en devenant de chevet.
-Alors, ça y est, m’avez-vous identifié ?
De temps à autre je suis de comptes, de cuisine, de mathématiques, ou bien de botanique ; certains me couvrent soigneusement pour éviter les éraflures, d’autres écrivent sur mon dos.
On m’a déjà mis à l’index, au feu ou au pilon. Des semaines portent mon nom, des jours et des mois également, tout le monde m’apprécie, et je reçois de nombreux prix.
-----Avez-vous deviné qui je suis ?
Certains me volent ou bien m’échangent sous le manteau, car je peux être interdit et j’ai déjà servi dans des autodafés ; souvent d’aventure, d’amour, de poésie ou d’humour, parfois je suis illustré, enluminé, relié, broché, cartonné. Comme un monsieur distingué je sais porter chemise et jaquette. Ceux qui me chérissent, surtout les dames, m’habillent d’une confortable liseuse à ruban pour me réchauffer. Les jeunes enfants me maltraitent, mais le soir venant je les aide à s’endormir tout doucement. J’ai même servi à faire des adjectifs et de temps en temps effeuillé, aussi des paquetages. Parfois je suis incunable, de messe, ou de littérature. Il m’est arrivé de servir d’inoffensif sigisbée à de belles dames enamourées. Je peux être d’heures, pour de pieux fidèles recueillis, ou psautier à l’office dominical
-Vous n’avez pas trouvé ? Vous donnez votre langue au chat ?

Je suis LE LIVRE !!!! Evidement !

Le Podium

Quand j’étais fillette, j’adorais pousser la chansonnette : Je voulais ressembler à une midinette.
Longtemps ce fût pour moi un véritable laudanum.
Je rêvais de monter sur un quelconque podium.
Je me suis vite aperçue que le milieu était un vrai pandémonium, Aussi bien gardé qu’un imprenable oppidum.
Et monter sur l’estrade, fût pire qu’une furieuse estrapade.
Pour m’entraîner je suis devenue majorette.
Au pas je marchais avec mes gambettes, Un peu trop fluettes, qui portaient socquettes.
Je m’imaginais devenir illico une starlette, J’aurais voulu ressembler à Mistinguette.
Je m’voyais déjà empoignant l’micro
Un artiste de troisième zone s’échinant au piano.
Je m ’suis faite blonde, pour mieux passer sur les ondes.
D’être Maryline je rêvais, m’accompagnant d’un youkoulélé, Et devant toute une armée chanter.
Mais rien à faire :ma voix ne voulait pas monter, Et ma poitrine refusait de pousser.
Aussi ai-je remis ballerines et jupe plissée, Et je suis retournée au lycée étudier.

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La part de l’ange.

A matines, je sortais de l’église de « Notre Dame des Anges », où je venais de suivre l’office de l’angélus. Nous chantions en chœur « Les anges dans nos campagnes » en quittant la chapelle. C’est là que je l’ai croisée. Elle venait d’acheter à la boutique un bénitier décoré de blonds angelots qu’elle serrait tendrement contre sa poitrine. J’ai trouvé aussitôt, qu’elle avait quelque chose d’un ange, avec son foulard de soie blanche négligemment noué sur ses boucles, dont les extrémités enroulées auraient pu passer pour un phylactère annonçant la prochaine venue du Messie. J’étais saisi : ses yeux avaient la couleur de l’angélique et autour de son cou un collier de perles de corail peau d’ange donnait à son teint un éclat subtil. Sa main libre tenait une aumônière de galuchat, qui comme chacun sait est la peau de ces gros poissons appelés « anges » jusqu’à la renaissance. Elle descendit les marches du péristyle avec la majesté d’un archange. Je me suis avancé, intrigué par cette belle. Après m’être présenté nous avons engagé conversation. J’appris qu’elle était angevine, que sa grand’mère avait exercé le métier de faiseuse d’anges, pendant que son époux, ni ange, ni bête, allait chasser dans la campagne. Elle arrivait de Venise où elle avait assisté à la cérémonie de l’ouverture du carnaval, où un ange descend du haut du campanile de la place Saint Marc, pour remettre une clef au doge. Nous avons eu une discussion animée, justement sur le sexe des anges. Brusquement frigorifiée par la fraîcheur du soleil levant, elle s’est tue. Un ange passa. Pensant la réchauffer je lui proposais un bol de bouillon, dans lequel s’épanouissaient quelques cheveux d’ange. Bien réconfortée elle était aux anges et se mit à me raconter sa carrière sportive. Grande plongeuse elle savait faire le saut de l’ange, épreuve dangereuse, mais elle comptait sur la protection de son ange gardien. Joyeuse elle riait aux anges. Charmé je m’approchais, prêt à la saisir dans mes bras, tellement elle était angélique. Lorsque je pensais les refermer sur elle, elle avait disparue. C’était la part de l’ange qui venait de se dissoudre dans l’air éthéré du matin, ce concentré de beauté, de délicatesse et de douceur, qu’on ne peut jamais s’approprier.

Réséda.

La chemise de l’estrassaire.

Au lieu de dire l’estrassaire, mon frère et moi, nous disions : l’estrassier.
Il passait dans les rues avec sa charrette, tirée par un âne docile et pensif à l’air très doux, résigné. La carriole était aussi délabrée que les estrasses qu’elle portait. Le vieil homme à côté de la voiture, ressemblait à un rebut et n’aurait dépareillé en rien, s’il avait été jeté au milieu des objets en fin de course entassés dans le tombereau. Ses vêtements étaient déchirés et mal odorants et nous pensions qu’il les avait choisis sur le tas d’immondices innommables empilées derrière son bodet. La moustache tombante, la tignasse sauvage, le cheveux gris, maigre et poussiéreux étaient assortis aux loques qui l’habillaient. Une odeur nauséabonde précédait son arrivée. Il portait une vétuste chemise qui avait dû- être blanche. Veuf de tous ses boutons, le plastron, qui n’avait pas connu l’amidon depuis longtemps, baillait sur une poitrine maigre, à la peau glabre, très blanche, au bréchet saillant comme celui d’une volaille. Sur le col, une coulure de sauce tomate aurait pu faire penser à une décoration prestigieuse. Les poignets mousquetaires, en bout de manches, pendaient lamentablement faute de fermeture, sur ses mains osseuses pleines de cals. Le pan arrière de sa liquette, sorti du pantalon, voletait doucement aux rafales du vent, comme la queue d’un cerf-volant. Il avait aux pieds, une paire de brodequins réformés qui avaient oubliés leurs lacets dans quelque caravansérail de passage. Mais le personnage avait un atout : un vieux clairon de cuivre tout cabossé, qui laissait tomber un son aigu, annonçait son passage. Une large fourragère de soie rouge toute élimée, aux aiguillettes dorées, aux tresses encore reconnaissables, munies de quelques pompons brillants, maintenait l’instrument contre son dos vouté. Lorsqu’il s’en saisissait, il se redressait, comme s’il soufflait la sonnerie aux morts. On oubliait son aspect loqueteux, il prenait l’allure d’un officier d’ordonnance galonné et fier. Même sa chemise paraissait tout d’un coup immaculée et repassée. Bombant le torse, étirant le cou pour gagner quelques centimètres, remontant sa taille qu’il avait fort belle, il devenait alors un conquérant victorieux, et soufflait dans sa trompe comme pour exhorter une cohorte romaine déferlant sur une Gaule soumise. Ce n’était plus le même homme :il n’avait plus rien à voir avec le chiffonnier à odeur de cloaque. La musique terminée, il criait d’une voix autoritaire : Chiffonnier, estrassaire, peaux de lapins ! Il replaçait sa trompette dans son dos, reprenait son allure déguenillée, voutée, vaincue, et reprenait son tour de ville à nouveau.
Dès que nous entendions le cornet, nous nous bousculions à la fenêtre, mon frère et moi, et à la fin de la musique, nous éclations de rire en nous poussant du coude et on criait nous aussi : Chiffonnier, estrassier, peaux de lapins !
Une estrasse est un vieux chiffon minable, et par extension il désigne aussi une personne négligée.
En -terme -de commerce il désigne de la bourre de soie.

Réséda.

Le panier.

Panier, piano ; panier, piano. C’est une comptine enfantine, que je rembobine dès mâtines et répète à tire larigot ; une rebelle ritournelle qui me trotte, trotte en tête à demi-mot. C’est surtout ce « i » diabolique qui donne le tempo à ces deux mots. Il bouscule les lettres voisines et par indiscipline quelques fois porte un tréma comme un petit chapeau.
Panier, piano ; panier, piano. D’abord pianissimo, puis larghetto, entonnant un contralto, poursuivant crescendo jusqu’à fortissimo, je mélange les syllabes obtenant une cacophonie concertante décroissante jusqu’à diminuendo où les voyelles éclatantes se mélangent.
Pianier, pano ; pianier, pano. La valse se poursuit, enroulant dièses et bémols à l’envie, avec quelques coquets triolets. Mon premier panier fut en osier tressé, qui était destiné à me peser, sur une bascule miniature dans la salle à manger. Le second de jonc brut natté, portait sur sa hanse un crochet. Papy allant des cerises récolter m’y avait placée, sur une branche accrochée. Aux éclats je riais, la bouche remplie de Burlats que le papet venait de ramasser. Le temps des cerises passé, panier piano, un panier fut installé à l’arrière du maternel vélo, destiné à me transporter ; j’y étais bien à l’aise pour me faire promener. En grandissant, j’ai fini par posséder moi aussi un petit panier. Mouchoirs, jouets, et goûter, y furent aussitôt placés. Panier, piano ; panier, piano, c’était rigolo à la grande personne jouer. J’y ai mis ma poupée, et mon minet ; mais aussi mon tricot et une broderie sur calicot. En suite ce fut un grand canevas qui vint tenir compagnie à des chocolats.
Panier, piano ; panier, piano. Peu à peu j’enrichi mes possessions et entrepris une véritable collections…….de paniers que j’accumulais sans vergogne sur le couvercle…….du piano. Paniers, piano ; paniers, piano. Tout- en révisant mes gammes, je chantais à tue-tête : Paniers, piano ; paniers, piano. Mon vibrato était si fort que les piles de corbeilles tremblaient. Un accord final je plaquais, et patatrac !!!! Dans une dégringolade joyeuse tous les paniers sont tombés…….sous le clavier. Je refermais le couvercle de mon instrument, et m’en allais en chantonnant : Panier, piano ; panier, piano.

Les vertes prairies.
-Toc, Toc !
- Est-ce que je peux rentrer Mémé ?
- Oui ma chérie, je suis réveillée.
Poussant la porte de la chambre d’amis, je saute prestement sur le lit : c’est Clothilde, ma grand-mère maternelle tant aimée qui m’accueille. Elle vient souvent passer quelques jours chez nous, à « La Bienveillante », notre maison et nous avons un rituel : c’est moi qui lui apporte le quotidien fraîchement recueilli dans la boîte-à-lettres, ainsi que les hebdomadaires que mes parents viennent de terminer. C’est mon premier travail avant de partager un moment d’intimité avec elle : En effet elle me fait reconnaître les hommes politiques sur les photos ou les caricatures des journaux. Mon préféré c’est le général de Gaulle car il est facile à identifier :sa stature, son képi à étoiles, et son nez un peu trop proéminant sont aisés à démasquer au milieu des ténors de l’assemblée nationale ou du sénat : Je ne me trompe jamais. En récompense je reçois un bonbon au réglisse qu’elle choisit dans un paquet au papier craquant : ovale, noir, épais d’un centimètre environ, je gobe cette gourmandise en essayant de la faire durer le plus longtemps possible en la collant au palais. Après l’épreuve de reconnaissance je lui fais raconter :
-C’était comment avant ?
-Avant quoi ma chérie ?
-Avant de venir habiter à Toulon au « Clos Bagatelle » ta belle maison.
Mon grand-père était officier dans l’armée coloniale et a fait carrière en Indochine avant et après la guerre de 1.914-1.918. C’est surtout le comportement de ma mère et de ses cinq frères et sœurs qui m’intéressait ; pour les jeunes enfants il est difficile d’imaginer que les adultes qui les gouvernent aient pu être aussi des petits enfants. Les rizières si vertes aux hautes graminées souples aux vents, la récolte, les pousse-pousse, les animaux sauvages : singes, éléphants, tigres, les temples, les pagodes, et les palanquins…….que de délicieux moments d’affectueuse complicité !!!!
Et puis un jour elle n’est plus venue. Je n’ai eu connaissance, que très longtemps après, de la cause de sa désertion. Quand- à moi, j’étais toujours maigre et fiévreuse. Je faisais ce qu’on appelait alors une primo-infection, due au contact de cette charmante aïeule tuberculeuse. Le corps-médical prescrivit un changement d’air à la montagne et mes parents m’emmenèrent en haute Savoie, au Grand- Bornand. Nous habitions un logement modeste au-dessus de la boulangerie. Il fallait faire de la suralimentation, la sieste était obligatoire et était suivie d’une longue promenade pour renforcer mon corps malingre. La fin d’après midi étant libre je partais avec des cousins venus nous rendre visite et mon frère pour faire « du carton » dans les pentes herbues des grandes prairies. Nous choisissions les plus pentues. Après avoir mis à plat tous les côtés de l’emballage nous descendions à toute vitesse le versant jusqu’à la rivière qui bornait le prés. J’étais très fière d’être admise à une activité de » grands ».
Et bang !!!Suite à trop de précipitation et un fort cahot, je fus projetée en avant, ventre à terre, nez au sol : j’ouvrais alors les yeux sur un autre monde : un hérisson brutalement réveillé de sa sieste, se dépliait, faisant craquer les feuilles mortes de sa couche pour manifester son mécontentement, puis une colonie de fourmis à la queue-le-leu, très affairées, qui rentrait au logis, chacune portant son fardeau : qui une graine, qui une glume, qui un insecte mort, ou une miette. Deux coccinelles coloraient ce tableau. En tombant j’avais provoqué un nuage d’insectes qui s’étaient élevés pour se sauvegarder et redescendaient maintenant sur le sol : de petits papillons bleus : les azurés, des rouges à dessins noirs nommés zygènes, un bataillon de sauterelles vertes, des grillons, des longicornes aux gracieuses antennes, quelques guêpes égarées, enivrées par les fleurs odorantes du près, s’empressaient auprès d’un cadavre minuscule. Une chenille à fourrure brune bousculée par ma chute s’était mise en boule pour se protéger. Deux phasmes étaient occupés à mimer une brindille. Une mente religieuse guettait sa proie en se cachant derrière un brin d’herbe. Deux gendarmes collés dos à dos s’escrimaient à vouloir partir dans des directions opposées.
Une araignée au ventre jaune, me regardait avec reproche, car j’avais détruit sa toile tendue entre deux tiges desséchées. Un limaçon bicolore, bavant sur une feuille de trèfle avait rentré ses cornes par timidité : nous n’avions pas été présentés. Une poignée de peureux cloportes faisait les morts sous un gros caillou humide. Des abeilles besogneuses se pressaient de récolter les derniers pollens de la journée sans perdre leur élégance. Un campagnol, effrayé par tant de chahut détalait à toutes pattes. Un orvet verdoyant qui attendait la fraîcheur du crépuscule, et se chauffait contre une pierre tiède, me fit faux bond. Un noir bousier, trop absorbé à faire avancer sa boule d’excrément en vue de sa future ponte continuait à besogner tranquillement évitant les graviers. Une cétoine dorée aux reflets émeraude s’escrimait à escalader un pédoncule, déçue de ne pas trouver de fleur à son extrémité. Un lombric écarlate sortait de terre par un trou bordé de tortillons de glaise fine. Une grosse mouche bleue s’arrêta sur un capitule fleuri de jaune. Un taon bruyant ne savait pas où se poser. J’étais tellement étonnée de toute cette vie foisonnante sous le près que je crois m’être endormie quelques minutes comme pour mieux rentrer dans l’univers miniature de ces nouveaux amis. Subitement j’entendis crier mon nom. J’étais étourdie par mon bref séjour sous la verte prairie. Je voyais autour de ma tête une douzaine d’espadrilles et de sandales masculines. Je me retournais sur le dos : au-dessus de moi je distinguais une couronne de visages : François, Jean-Claude, Yvon, Bernard, Alain, les cousins et Philippe, mon frère, penchés sur mes membres épars, le regard inquiet, la bouche pleine de questions :
-Tu es malade ? Tu t’es fait mal ? -Mais qu’est -ce que tu fabriques ? C’est l’heure de retourner à la maison. On va se faire disputer si tu lambines encore.
En rentrant à notre petit appartement je sifflotais légèrement comme les garçons : c’est eux qui m’avaient appris. Le chemin était bordé de touffes d’asphodèles blanches et d’épilobes hirsutes roses vif. Je me réjouissais d’avoir percé le secret de ces grands pâturages verdoyants qui léchaient les abords des premières maisons du village. Peu de routes goudronnées, que des chemins de terre caillouteux pour nous mener au cœur du pays où se trouvait la bascule à bestiaux et l’église. J’étais songeuse, j’avais rencontré tout un petit peuple végétal et animal grouillant de vie, j’avais l’impression d’avoir visité un nouveau pays réservé qu’à moi seule. J’étais rentrée dans l’intimité de ces grands herbages et de ses habitants : c’est eux qui les rendaient si beaux, si verts, si attirants, si vivants. Je venais de faire un voyage chamanique initiatique : Le mystère de la grande prairie, quel beau titre cela ferait pour une nouvelle B.D !!


Nathalie, le 22/12/20 Magnifique texte sur le parapluie !! Quelle plume Monique !
Pour le dernier paragraphe, qui en effet pourrait dérouter, j'ajouterais peut-être au début quelque chose comme "Remarque :" ou "N.B." ?
Et tout au début, ma lecture a été freinée dans son élan par une phrase :
* "Ce fut pour mon anniversaire..." : j'aurais écrit "Il me fut offert pour mon anniversaire..." Qu'en penses-tu ?

Michèle B, 6/12/20 Je trouve ton texte sur le parapluie superbe mais le dernier paragraphe me déroute un peu.

Bonsoir Réséda, Je viens de découvrir votre texte que j'ai savouré. Quelle richesse! Bravo!
Claudine

Nathalie, le 23/11/20 Chère Réséda, comme il doit être heureux... le livre... de ton amour incommensurable, si bien énoncé dans cette déclaration exaltée !
N.B. : Merci pour cet enrichissement de mon vocabulaire, il y a deux mots dont je suis vite allée vérifier la signification !!
Zette 4/12/20 Merci Réséda, tu m'as donné une leçon d'écriture et de vocabulaire.

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